Q : C’est votre première sortie sur les terres sénégalaises après avoir remporté le prix Goncourt. Quel sentiment ressentez-vous à l’issue de cette journée ?
Un grand sentiment de joie à l’idée d’être chez moi, dans mon pays, entouré de personnes qui m’ont fait l’amitié d’être là aujourd’hui. C’était un jour que j’attendais avec un mélange d’appréhension et de hâte. Il n’est jamais simple, après cette reconnaissance, de revenir dans son pays. Mais j’avais espoir que cette discussion sera féconde et elle l’a été. En tout cas, j’ai été très ému, il y avait ma famille, mes amis. On a parlé de tout ce que j’aime, la littérature, la culture ; il y a eu des débats, il y a eu des discussions et c’est tout ce qui compte pour moi. Et je partage la joie de ce prix avec toute personne qui veut bien être dans ce cercle de partage et qui estime que c’est aussi son prix.
Q : 6 mois se sont écoulés entre l’obtention de votre prix et ce rendez-vous d’aujourd’hui. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?
« C’est un bouleversement très fort dans le quotidien »
Q : Vous avez été propulsé au devant de la scène littéraire mondiale suite à cette distinction qu’est le Goncourt qui, rappelons-le, récompense le meilleur roman francophone. Comment se passe votre nouvelle vie ?
Il faut aussi savoir que cette qualification de meilleur roman n’est pas une qualification objective. Un jury se réunit et décide, j’ai eu le privilège d’être choisi cette année. Évidemment, j’essaye de vivre le plus tranquillement possible, c’est un bouleversement très fort dans le quotidien, à travers, la multiplication des sollicitations, la multiplication des voyages, la multiplication des interventions de toutes parts y compris celles qui sont très éloignées de l’écriture. Mais, j’essaye de le vivre le plus simplement, ça fait partie de cette aventure. Elle est belle et je la partage avec des amis, la famille, mes éditeurs. Autant, le regard extérieur sur moi peut avoir changé ; autant je pense qu’intérieurement la manière dont je me perçois, la manière dont je perçois le travail que je tente de faire sur le plan littéraire n’a pas changé. Donc, j’espère que cela restera. On verra dans les prochaines années. Mais il est sûr qu’un prix pareil bouleverse votre quotidien.
Oui, c’est tout le paradoxe et toute l’ironie de ce livre. En racontant l’histoire d’un écrivain qui disparaît, je me retrouve d’une certaine manière sous les feux des projecteurs. Et c’est vrai que c’est extrêmement ironique. Mais, j’essaye du mieux que je peux de m’effacer derrière le livre, de le donner à lire. Donc, mon apparition n’est pas tellement une apparition sur ma personne. Bon, en tout cas si elle l’est, j’essaye toujours de la faire basculer vers autre chose qui est le livre et la lecture.
Pour l’heure, c’est de digérer ce prix, donc, de laisser passer du temps, cette tournée, ces moments un peu lourds en termes d’agenda et de déplacements. Et revenir petit à petit à ce que j’aime faire : l’écriture. Ça sera peut-être bientôt, je l’espère.
« Je pense que le travail de littérature est un travail de l’ombre »
Q : Quels conseils souhaitez-vous donner aux jeunes hommes et femmes écrivains (nes) qui souhaitent suivre les pas de Mbougar Sarr ?
Je leur dirai de les suivre car, il n’y aucune raison qu’ils ne les suivent pas. Ils doivent continuer à faire ce qu’ils aiment. Lire, travailler, chercher leurs voies, écrire parce qu’ils ont une nécessité intérieure et pas forcément pour être célèbre où pour avoir un prix ou pour accéder à une gloire. Je pense que le travail de littérature est un travail de l’ombre, un travail de l’humilité. Et que ce qui le fonde, c’est vraiment la patience, la lecture et le fait de chercher en soi ce qui nous semble essentiel pour aller dans l’écriture. Il n’y a pas de miracle, il n’y a pas de magie ; il y a une patience, des lectures et la recherche extrêmement lente et difficile mais tellement belle de sa voix/voie (avec un x ou avec un e).
Q : On constate que le rapprochement avec le réel se fait de plus en plus dans les romans. Hors, d’essence, ce genre littéraire se veut être une fiction. Aujourd’hui, comment réussir à maintenir ce parallélisme ?
« Les lions sont sur une dynamique assez formidable… Et peut être que c’est le moment d’aller un peu plus loin que la génération dorée de 2002 »
Q : Les lions du Sénégal ont obtenu leur qualification pour la coupe du monde au Qatar mardi dernier (29 mars) contre l’Egypte. Quel est votre sentiment ?
J’étais au match, je l’ai vécu dans toute son intensité. Je suis bien sûr extrêmement heureux que cela se soit passé ainsi.
Q : Qu’avez-vous pensé des supporters ?
Au stade, l’ambiance était vraiment magnifique, très belle. Evidemment, on a pu noter une montée de tension qui était liée à l’enjeu, je pense. Il y a eu quelques débordements. Mais, il me semble que globalement, la situation a été plutôt bien maîtrisée et gérée. Et c’est finalement sur le terrain que ça s’est joué. Et je pense que l’immense majorité des supporters, qui étaient là, y étaient surtout pour encourager pleinement leur équipe. C’est en tout cas ce que j’ai vu. Je ne minore pas du tout les incidents qu’il y a eu mais ils me semblent minoritaires par rapport à la ferveur et au fait que ces supporters étaient là pour pousser leur équipe nationale à se qualifier et c’est ce qui s’est passé. Je félicite tous les joueurs et le staff sans oublier le peuple sénégalais qui était derrière.
Q : Faisiez-vous partie des supporters « Jedi » (lasers) ?
[Rires] Non, je n’en avais pas. Je n’avais que mes mains pour applaudir et ma voix pour crier qui était d’ailleurs cassée à la fin du match.
Q : Qu’espérez-vous du Sénégal lors de cette coupe du monde en novembre au Qatar ?
Qu’ils aillent le plus loin possible, ils sont sur une dynamique assez formidable. Ce serait aussi merveilleux que cette génération ait aussi un parcours en coupe du monde. Et peut être que c’est le moment d’aller un peu plus loin que la génération dorée de 2002. C’est possible, j’y crois. En tout cas, je serai derrière l’équipe nationale du Sénégal.